PHOWA

PHOWA : La trans-apparition de la sagesse

Le transfert de la conscience selon le système Dzogchen de l’A-Tri

 

Le yoga du transfert de la conscience ou Phowa est tout indiqué aux personnes souhaitant  se préparer au moment fatal. C’est la circonstance idoine pour la réalisation suprême, pourvu qu’on s’y soit entraîné à temps. De surcroît, une fois parfaitement entraînées, elles deviendront, à leur tour, capables d’offrir à des êtres expérimentés ou non, un véritable accompagnement vers l’Éveil, faisant fi de l’horizon fatal.

 

 

QUESTIONS-RÉPONSES À PROPOS DU P’OWA

 

Que veut dire « P'OWA » en tibétain ?

Cela veut dire « transformer, transférer » quelque chose.

 

Transférer quoi ?

La conscience, rien de moins. Ce n’est donc pas une affaire à prendre à la légère.

 

Il s’avère que la conscience a la capacité de s’auto-transférer, de se transformer ou de se sublimer elle-même en autre chose. Notez toutefois que toutes les techniques de transformation ne correspondent pas toujours à ce que l’on entend par « transférer la conscience ».

 

Pourquoi transférer la conscience ou l’esprit ?

Eh bien, parce que, si l’on ne faisait rien, tout ce que l’on aurait vécu dans le Samsara se poursuivrait indéfiniment au sein de la conscience avec une sorte d’élan. Si en revanche la conscience demeurait au bon endroit, on n’aurait pas à faire l’expérience de tant de peines dans cette vie ni à revenir s’incarner dans le cycle des existences et de la souffrance. La conscience est en fait non seulement le sujet de l’expérience vivante — et de son inévitable fin —, mais bel et bien aussi le vecteur susceptible de fuser vers la sortie de la condition souffrante, de sonner le glas du Samsara.

 

P’OWA pour soi-même est une méthode très sûre — pourvu qu’on s’y prenne comme il se doit. C’est aussi un expédient très direct, efficace et précieux pour quiconque n’aura, comme chacun de nous, peut-être pas atteint de son vivant, la réalisation suprême. P'OWA n’est ni plus ni moins que le moyen — raccourci sans détour ni retour— permettant de quand même sublimer la conscience au moment même de la mort.

 

Comment accomplir un tel exploit ?

La technique consiste à faire s’« échapper » le principe de conscience. Chevauchant l’essence ཨ du cœur soulevée par le bienheureux souffle de sagesse à travers le canal central, elle est propulsée par la même occasion. Au moment précis du trépas, elle franchit la fontanelle pour ne plus jamais revenir. Quant au fameux canal médian, il équivaut à la sagesse-clarté même. Il est à proprement parler, non pas seulement le canal de la sagesse, mais le canal Sagesse !

 

On considère qu’une personne qui a été capable d’y faire transiter sa conscience au moment de sa mort, qu’elle est sortie pour toujours du cycle du Samsara. La raison en est qu’aucun karma glané lors de la traversée de la vallée de la souffrance ne saurait franchir ce seuil sans être de facto sublimé. Rien d’impur ou de défectueux ne saurait passer par ce chemin sans se transcender soi-même au passage. C’est la seule voie, dans toute la réalité, où il en est ainsi !

 

En somme, la voie centrale est exclusivement celle de la lumière : celle du Clair-et-vide en chemin vers la libération, jusqu’à la Trans-apparition irisée au-delà du par-delà.

 

Le P'OWA n’est rien d’autre que la méthode permettant de conduire la conscience dans cette direction— de la forcer à y aller, même ! Voilà ce qu’est un vrai P'OWA, c’est-à-dire un « transit », une « transcendance », une « sublimation », une « transformation » et un « transfert » digne de ce nom ! Maintenant, il faut dire qu’il existe différentes catégories de P'OWA. Tout dépend d’abord de la visée de la pratique. On peut la faire pour soi-même ou plutôt l’accomplir pour le compte d’autrui.

 

Considérons d’abord le P'OWA pour soi-même ; celui où l’on s’efforce d’acquérir la capacité de s’échapper par ses propres moyens, au moment de la mort. Il s’agit littéralement de bouter sa propre conscience hors du cycle, à l’instant même du trépas.

 

On peut aussi s’en remettre à un expert du P'OWA— il peut s’agir d’un compagnon spirituel ou d’un Lama accompli. Ce n’est pas tant qu’il le fera à la place du défunt, mais plutôt que le défunt trouvera sa propre voie d’évasion à l’exemple d’un accompagnateur capable de vraiment lui indiquer la voie, du fait de sa pratique assidue.

 

L’expert met le principe de conscience du défunt en présence de sa propre réalisation et lui présente, pour l’exemple, le mode d’évasion qui lui est dévolu. Après tout, le défunt ne dispose-t-il pas, lui aussi d’une conscience et d’un canal central — du moins, tant que la déconnexion d’avec le corps physique est récente ?

Que lui faudrait-il de plus ? Par affinité naturelle et comme par imitation spontanée de la réalisation de l’un, l’autre se réalise — apprenant pour ainsi dire « sur le tas ».

 

Voilà pour les considérations générales sur le P'OWA et pour la raison de faire normalement appel à un Lama ou au maître racine, pour accompagner un défunt.

 

 

 

Maintenant, d’où vient cette méthode que l’on appelle P'OWA ? Quelle en est l’origine ?

D’après la tradition Bön, elle a été révélée par le bouddha Tönpa Shenrab en personne. On entend souvent parler du P'OWA du Magyü (Tantra mère). Mais ce n’est qu’un parmi tant d’autres : il en existe plusieurs catégories, dans les différentes voies du Bön. Il vient d’être fait mention de la présence de cette ascèse dans le Magyü, mais on la trouve aussi dans un cycle du Dzogchen comme l’A-Tri.

 

Quels que soient les nombreux systèmes dans lesquels on l’évoque, il trouve son origine dans les préceptes initiaux de Tönpa Shenrab. C’est lui, qui l’a enseigné le premier, le situant parmi ce que l’on appelle « les six méthodes pour parcourir le chemin » — l’enseignement inaugural du bouddha Tönpa Shenrab. Dans cette proclamation se trouve un chapitre qui s’intitule Tenpa Lamkhyer et qui renvoie tout simplement au P'OWA.

 

Il y est expliqué en détail tout ce qui relève du transfert de la conscience. Nous savons maintenant ce qu’il en est du P'OWA dans le domaine du Tantra, mais il faut ajouter que certaines pratiques sont communes à différents systèmes d’enseignements et à différents types de pratique. C’est éminemment le cas du P'OWA, mais aussi celui du Tummo, du gourou yoga et de plusieurs autres, qui sont employés aussi bien par les pratiquants tantriques que par les adeptes du Dzogchen. Voilà.

 

 Traditionnellement, pendant combien de temps convient-il de s’adonner à cette pratique ?

Entre cinq jours et une semaine, c’est-à-dire typiquement, jusqu’à l’obtention dans cet intervalle, des signes indiquant le succès de la pratique et l’acquisition effective des capacités associées. On surveille donc attentivement le sommet de la tête. Au bout de quatre, cinq ou six jours, il est possible de constater l’apparition de certains signes corporels révélant que la pratique de P'OWA est bien engagée. Cela peut une cloque, un écoulement ou des démangeaisons, ou d’autres choses encore. Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment, il conviendra d’entretenir la capacité désormais acquise en pratiquant P’OWA sur une base quotidienne et perpétuelle. Il faut au moins cela pour que ce qui doit s’accomplir à l’instant fatal se fasse par réflexe.

 

Qui est habilité à pratiquer le P'OWA ?

Eh bien, tout simplement tout le monde ! Chaque personne a tout ce qu’il faut en elle-même pour l’apprendre et le mener à bien. Il n’existe tout simplement pas une seule condition préalable de niveau de pratique, de mérite ou de sagesse, légitimant d’en restreindre l’accès ou l’emploi. À cet égard, Shardza Rinpoché en personne affirmait que c’est la seule et unique méthode permettant à quiconque — qu’importe sa qualité — de se libérer, sans discuter, littéralement.

 

Il la décrivait comme la plus éminente voie du moindre effort — mais aussi comme la plus directe, pour s’évader du Samsara. Il la présentait surtout comme la voie de salut de toute personne n’ayant de son vivant pas eu beaucoup de temps ou d’occasions pour s’adonner, ou même s’intéresser, à la pratique spirituelle. En somme, c’est la pratique de la dernière chance, mais quelle chance ! C’est la pratique du dernier instant, mais quel instant ! Quoi qu’il en soit, c’est la plus sûre et la plus offerte à tous. Voyez-la — très prosaïquement — comme la garantie gracieusement obtenue de bénéficier de la plus abondante des primes du plus profitable des contrats d’assurance".

 

Paroles de Geshe Lhundup _Transcription de Serge Komas 


PHOWA: The trans-apparition of wisdom

Transference of consciousness according to the A-Tri Dzogchen system 

 

The Yoga of Transference of Consciousness or Phowa is suitable for those who wish to prepare for the fatal moment. It is the right circumstance for supreme realization, provided that one has trained in time. Moreover, once they are fully trained, they will in turn be able to offer experienced and inexperienced beings true guidance towards Awakening, regardless of the fatal horizon.

 

 

QUESTIONS AND ANSWERS ABOUT PHOWA

 

 What does ‘PHOWA’ mean in Tibetan ?

It means ‘to transform, to transfer’ something.

 

To transfer what ?

Consciousness, no less. So, this is not a matter to be taken lightly.

It turns out that consciousness has the capacity to transfer itself, to transform or sublimate itself into something else. Note, however, that not all transformation techniques correspond to what is meant by ‘transferring consciousness’.

 

Why transfer consciousness or mind ?

Well, because if one did nothing, all that one had experienced in samsara would continue in- definitely within the consciousness with a kind of momentum. If, on the other hand, conscious- ness remained in the right place, one would not have to experience so much sorrow in this life or return to incarnate in the cycle of existences and suffering. Consciousness is in fact not only the subject of living experience – and of its inevitable end – but also the vehicle that can literally shoot out of the suffering condition, to sound the death knell of Samsara.

 

PHOWA for oneself is a very safe method – provided one does it right. It is also a very direct, effective and valuable expedient for anyone who, like each of us, may not have attained su- preme realization in his or her lifetime. PHOWA is no more and no less than the means – a shortcut with no diversions or return – to sublimate consciousness at the very moment of death.

 

How to accomplish such a feat ?

The technique is to make the principle of consciousness ‘escape’. Riding the essence ཨ of the

heart lifted by the blessed breath of wisdom through the central channel, it is propelled at the same time. At the precise moment of death, it crosses the fontanelle never to return. As for the famous median channel, it is equivalent to wisdom clarity itself.

Strictly speaking, it is not only the wisdom channel, but the wisdom channel !

 

A person who has been able to move his or her consciousness through it at the time of his death is considered to be forever out of the cycle of Samsara. The reason for this is that no karma gleaned from crossing the valley of suffering can cross this threshold without being de facto sublimated. Nothing impure or defective can pass through this path without transcending itself in the process. This is the only path in all of reality where this is so !

 

In short, the central path is exclusively that of the light: that of the clear-and-empty on the way to liberation, that of the iridescent trans-appearance beyond the Beyond.

 

PHOWA is nothing else than the method to lead the consciousness in this direction – to force it to go there, even! This is what a real PHOWA is, i.e. a ‘transit’, a ‘transcendence’, a ‘sublima- tion’, a ‘transformation’ and a ‘transference’ worthy of the name! Now, it must be said that there are different categories of PHOWA. First of all, it depends on the purpose of the practice. One can do it for oneself or rather do it for others. 

 

 

Let us first consider the PHOWA for oneself; the one where one strives to acquire the ability to escape by one’s own means, at the moment of death. It is literally a matter of throwing one’s own consciousness out of the cycle at the very moment of death.

 

One can also rely on an expert in PHOWA – for instance, a spiritual companion or an accomplished Lama. It is not so much that he or she will do it for the deceased, but rather that the deceased will find his or her own way of escape by the example of a companion who is able to really show the way, because of diligent practice.

 

The expert puts the consciousness principle of the deceased in the presence of his own realization and presents him or her, by way of example, with the mode of escape that is devolved to him or her. After all, does not the deceased also have a consciousness and a cen- tral channel – at least as long as the disconnection from the physical body is recent ? What more would he need ?

By natural affinity and as if by a spontaneous imitation of the realization of the expert one, the other realizes – learning, so to speak, ‘on the job’.

 

So much for the general considerations on PHOWA and the reason for normally calling upon a Lama or the root master to accompany a deceased. 

 

 

 

 

Now, where does this method called PHOWA come from? What is its origin ?

According to the Bön tradition, it was revealed by the Buddha Tönpa Shenrab himself. We often hear about the PHOWA of the Magyü (Mother Tantra). But this is only one of many: there are several categories in the different Bön paths. We have just mentioned the presence of this as- ceticism in the Magyü, but it is also found in a cycle of Dzogchen such as the A-Tri.

 

Whatever the many systems in which it is mentioned, it finds its origin in the initial precepts of Tönpa Shenrab. It was he who first taught it, placing it among the so-called ‘six methods for walking the path’ – the inaugural teaching of Tönpa Shenrab Buddha. In this proclamation there is a chapter called the Process of Expulsion – Phenpa Lam Khyer, which simply refers to PHOWA.

 

It explains in detail all that is involved in the transfer of consciousness. We now know what PHOWA is in the field of Tantra, but it should be added that certain practices are common to different teaching systems and different types of practice. This is eminently the case with PHOWA, but also with Tummo, Guru Yoga and many others, which are used by both Tantric practitioners and Dzogchen practitioners. This is it.

 

Traditionally, how long should this practice be carried out ?

Between five days and one week, that is to say, typically, until the signs indicating the success of the practice and the effective acquisition of the associated abilities are obtained in this inter- val. The top of the head is therefore carefully monitored. After four, five or six days, it is possible to note the appearance of certain bodily signs revealing that the practice of PHOWA is well un- der way. This may be a blister, a discharge or itching, or other things. In any case, from this point onwards, the ability now acquired should be maintained by practising PHOWA on a daily and perpetual basis. This is at least necessary so that what is to be done at the fatal moment is done by reflex.

 

Who is entitled to practise PHOWA ?

Well, everyone actually ! Everyone has everything they need within themselves to learn it and to do it well. There is simply not a single precondition of the level of practice, merit or wisdom that would legitimize restricting access or use. In this regard, Shardza Rinpoche himself said that this is the one and only method by which anyone – no matter how good, experimented, devoted or not – can become liberated, literally without discussion.

 

He described it as the most eminent path of least effort – but also the most direct way to escape from samsara. Above all, he presented it as the path of salvation for anyone who has not had much time or opportunity in life to engage in, or even be interested in, spiritual practice. In short, it is the practice of the last chance, but what a chance! It is the practice of the last moment, but what a moment !

 

In any case, it is the safest and most available to all. Think of it – very prosaically – as the guar- antee, graciously obtained, of benefiting from the most abundant premiums of the most profit- able death insurance contracts. "

 

Oral by Geshe Lhundup _Transcription from Serge Komas